I walked with you
once upon a dream
Elle ne se souviendrait de rien. Comme un débarquement inconnu dans un lieu inconnu. Une page blanche. Qui ne le serait pas assez à mon goût. Je la maudissais déjà avant même de l'avoir près de moi. Plus les jours avançaient et moins ça me paraissait être une bonne idée. Elle signait mon ancrage à cette île. Un lien que j'abhorrais. Comme si elle m'avait coupé les ailes. Mais j'étais le seul responsable. Le seul à avoir bridé cet envol. Le seul à avoir décidé de ne pas simplement la tuer. Et je la détestais pour ça. La personnification de mon échec. De ma faiblesse. Qu'un vampire se mette à considérer un être humain... C'était d'un pathétique !
Des siècles durant j'avais arpenté le monde et profité de ce qu'il avait à offrir. Profité des humains pour mes plaisirs et me nourrir. Ils n'étaient qu'une fourmilière grouillante servant nos divertissements. Mais Blanche, c'était différent. Cette edelweiss accrochée au roc de ses convictions. Son acharnement lui coûterait toutefois l'exil. Privée de sa famille, de ses amis, de sa vie. Car elle m'appartiendrait. Enchaînée à moi comme des racines dans la terre.
Jesper l'avait laissée à un endroit clé. Je l'avais remercié sans vraiment le faire. Une fierté entre frère qui coûtait cher à notre lien pourtant génétique. De ces liens qui ne pouvaient se dissiper. Au loin, je la vis. Elle était perdue, apeurée. Cette robe... Je pestai silencieusement contre Jesper à sentir le pincement crisper mon cœur. Mais à la voir se retourner, faisant virevolter la robe, j'eus un moment d'absence. « Joan... » Un murmure à mon souffle coupé. Son élégance, sa grâce... Enfoiré de Jesper. Ce n'était pourtant pas le moment de penser à lui. Il fallait que je m'occupe de Blanche. Son tour viendra bien assez tôt.
Dans un silence à peine recherché, je sortis de ma cachette pour avancer vers elle. La jeune femme aux traits durcis par la fatigue et le temps me reconnu sans l'ombre d'un doute. Je n'exprimais que colère et mécontentement sur mon visage, et même dans mon regard bien qu'y persistait l'émerveillement de cette vision. Mais c'est avec un entrain sûr et rassuré que Blanche se joignit à moi. Sa main sur mon torse, caressant d'un geste ma joue... Je la fixais avec intensité alors que sa détresse échappait les sanglots de sa peur envolée. Sans bouger, je la laissai se blottir contre moi, appuyant sa tête sur ses mains au dos posé sur moi.
Déjà se faisait ressentir sa chaleur, son odeur. Son corps frêle déposé sur le mien. Mes mains vinrent se poser tendrement sur ses épaules. Je luttais pour ne pas l'enlacer comme un père enlacerait son enfant meurtri. Mais elle n'était ni une enfant, ni une âme meurtrie. Quel mal pouvait l'avoir contaminée ? Elle était le problème et la source de ses propres emmerdes. Brusquement, mes doigts enserrèrent ses bras et je la reculai avec force dans une secousse visant à capter son attention. « Cesse de pleurer si tu ne veux pas que je t'attache à un arbre et ne laisse mes congénères faire de toi leur dîner », lui imposai-je avec autorité.
Mes yeux s'ancrèrent dans les siens. Une lueur presque divine dans ses iris, contaminant les miennes et mes pensées. « Pourquoi tu t'es mise dans cette situation ? » Demandai-je à mon edelweiss en oscillant entre ses deux yeux, pétri par l'incompréhension. Si elle avait deviné, si elle savait, alors pourquoi avoir tenté d'ébruiter l'affaire ? Pourquoi s'être mise dans un tel danger ? Ils auraient pu la tuer à Paris. Un bon nombre de fois. Ils auraient dû la tuer. Je m'étais interposé, lâchement. Tout ça à quelle fin ? M'enterrer ici comme l'avait fait Jesper ? Je lui en voulais, à Blanche, de m'avoir amené vers cette route. Je lui en voulais alors que le problème venait de moi. Je ne voulais pas la tuer...