Une dame perdue, juillet 1272, Velen

L'envie de quitter cette ville poisseuse me trottait dans la tête. Déçue de ne pas pu y avoir trouver de labeur pouvant me convenir, j'avais payé ma dernière nuit à l'auberge et emballé mes affaires. Je ne restais jamais bien longtemps dans une région qui ne m'étais pas propice. Sans courir après l'argent, j'aimais que mes séjours soient rentables. Surtout dans ce genre de bourgades... C'est qu'on ne s'y retrouvait pas pour le seule plaisir d'être là !

Cependant, à m'éloigner de l'établissement vétuste, je vis une annonce se faire placarder. Je m'approchai, plissant les yeux pour discerner le sujet. Il s'agissait d'une femme perdue. M'approchant un peu plus, je pus lire l'intégralité de l'annonce. Hobolt. Sa femme s'était égarée. Ou peut-être lui était arrivé une triste mésaventure. Trouver cette femme disparue depuis trois jours n'allait pas être une tâche aisée... Trois jours, c'était beaucoup. Elle pouvait être n'importe où. Ou bien juste là. Balayant la place d'un regard, je me dis que glaner quelques informations sur la dite femme pourrait être un bon début. Dans ce coup d’œil, je pus remarquer que d'autres s'intéressaient à l'encart.

Il n'y avait guère foule et pourtant, la place donnait vite l'impression que tout le village s'y était regroupé. Un homme étrange vint se pencher sur mon épaule après lecture de l'annonce et une exclamation face aux trois jours annoncés. Il suggéra que bénédiction soit faite et que je sois cette dame perdue. Un sourire cordial. "Mon époux aurait alors bien bête d'avoir fait placarder cette annonce, et je ne saurais me destiner à un homme bête", répondis-je en conservant mon sourire.

Cet homme avait certains traits qui ne mentaient pas : il s'agissait d'un sorceleur. On ne pouvait m'y flouer. De quoi inspirer intimidation chez les autres mais admiration pour ma part. Artyom avait été comme un père pour moi, m'avait appris ce qu'il savait, ce qui m'était donné de faire de mon statut d'humaine. Et ce lien fort que nous avions tissé me laissait plutôt positive face aux autres sorceleurs. Bien sûr, je restais méfiante, comme face à n'importe quel inconnu. Mais je n'avais pas pour lui ce regard en biais, cette appréhension sommaire. Dans ce genre de bourgades, on avait tôt fait de regarder de travers un sorceleur.

Après tout, en quoi était-ce mal ? Chacun avait des préjugés sur les autres. De part leur différence, leur origine ou leur nature-même. Cependant, une question me trottait dans l'esprit... "Lisez-vous les annonces de simples badauds pour tuer le temps, sorceleur ? Ou comptez-vous réellement ramasser les petites piécettes d'un modeste commanditaire ?" C'est qu'il ne s'agissait que de retrouver une femme... rien n'était dit que la tâche ne serait pas complexe, mais ce n'était pas un contrat de sorceleur. J'étais intriguée de savoir pourquoi celui-ci s'intéressait à ce si maigre contrat...

Les réponses apportées étaient légitimes. Bien qu'étranges... Si l'altruisme était dans ses motivations, alors se lancer dans cette recherche se serait fait même sans récompense à la clé. Peut-être regrettait-il une vocation de chevalier. La noblesse n'était guère l'apanage des sorceleurs... Mais celui-ci semblait la rechercher. Tout du moins dans ses valeurs.

Un haussement de sourcils et un sourire à ce congé prit si soudainement, sans laisser de place à une conversation qu'il avait lui-même initiée. Une rudesse à laquelle je ne me formalisais pas mais qui aurait sans doute était très mal prise par n'importe qui d'autre. S'arrêter aux impolitesses était le luxe des nobliauds et des petites gens sans grands intérêts dans leur vie. Je considérais ne pas avoir le temps de m'attarder sur ces manquements. Car, de plus, cela résultait d'avantage de l'éducation reçue que d'une véritable intention d'être mauvais envers quelqu'un.

Le sorceleur s'en alla glaner quelques informations de son côté et j'en fis de même du mien. Je m'approchai d'un badaud et lui posai une simple question. "Salutations mon brave. Navrée de vous importuner... Vous avez l'air d'être du coin. Avez-vous noté l'arrivée de personnes étranges ou agissant de manière douteuse ?" Demandai-je avec un ton avenant et cordial.

Visiblement, je devais être devenue une bien piètre enquêtrice pour chercher à m'adresser à un ivrogne... j'ignore quelle mouche pouvait m'avoir piqué. Ce n'est pas là une erreur que j'ai pour habitude de faire. Au moment de passer mon chemin, un garde arrive et me demande de ne pas faire attention au biturin. "Je ne comptais pas m'attarder sur cette personne, je l'ai abordée par erreur", dis-je sans vraiment trouver d'excuse à donner. Les boit-sans-soif du coin n'apportaient jamais rien de concluant au vu de leur état constant...

A présent devant une personne vers qui je me serais plus naturellement tournée d'ordinaire, je répondis à sa question en posant les miennes. "J'ai lu cette annonce parlant de la femme de Hobolt, disparue depuis trois jours et souhaiterai tenter de la retrouver. J'aurais aimé, pour cela, savoir s'il y avait eu du passage suspect ces derniers jours ou bien quelques rumeurs étranges sur les environs. Quand bien même vous ne seriez qu'une poignée de gardes, je me doute que vous avez déjà pris le temps de fouiller la ville. Je pense que la pauvre dame a été retenue plus loin dans les alentours. Alors je cherche une piste, même petite. Donc le moindre détail, aussi insignifiant peut-il être, pourrait m'aider", décrivis-je au garde avec confiance. Je restais alerte et observatrice de ses moindres mouvements pour tenter de voir si, dans sa réponse, rien ne sonnerait faux. Les secrets sont monnaie courante dans ces petites villes. Et je doute que Perchefeux échappe à cette vérité.

Avant de prendre la route vers la direction indiquée, je notai la présence du sorceleur précédemment croisé. Sa proposition m'étonna. Il n'avait guère témoigné d'intérêt envers moi... mais peut-être souhaitait-il tout simplement suivre la même piste. Je ne lui accordais pas vraiment de considération mais n'allais pas refuser son aide. "Bien sûr que cette histoire m'intéresse. Plus pour l'argent que les nobles intentions que vous pouvez vous permettre de garder comme priorité. Tout le monde n'a pas cette chance. Et je ne suis pas vraiment douée pour autre chose que suivre les pistes et rendre service à ma manière, assurai-je en faisant un léger signe vers mon épée. Ne sachant rien de ce qui peut nous attendre, autant faire route ensemble. Hobolt est par là, allons voir s'il peut nous donner plus de détails", lançai-je en prenant la route. Réponse ou non, nous n'allions pas rester plantés là comme deux navets.

Côte à côte, nous marchâmes jusqu'à la demeure indiquée. Cette ville était d'un gris morose qui justifiait la mine patibulaire de ses habitants... de quoi me rappeler les bas quartiers de Rakverelin.

Le sorceleur prit les devants en tambourinant la porte. Sans attendre, il héla après Hobolt. Je le regardai avec curiosité sans dire un mot. À son signe, je m'approchai d'une des fenêtres tâchées de poussière. Ma manche en lin essuya la fine couche grisâtre et j'observai l'intérieur en approchant mon visage, alerte au moindre signe de vie et détaillant chaque élément qui pouvait être à ma portée.

La voix rauque de l'habitant porta jusqu'à l'orée des murs. Intriguée, je rejoignis mon compagnon fortuit quand la porte s'ouvrit. L'énervement du villageois était palpable et sa mauvaise mine plus que compréhensible...

Fernand de Kerack, se présenta le Sorceleur, à l'appel de celui qui semblait être le fameux Hobolt. Un échange de regard bref lorsqu'il voulut me présenter. Non, pas besoin de laisser une quidam se présenter. Mais jouer les écuyère d'arrière-plan ne me dérangeait pas tant que je recevais ma part du butin à la fin. « Également ses relations et habitudes, les raisons qui vous ont laissé passer trois jours avant de vous inquiéter de sa disparition. Quittait-elle régulièrement le foyer ? » Ajoutai-je en complément aux questions faites par le Sorceleur au commanditaire.

Les courbettes ne m'étaient pas étrangères mais je peinais à les rendre légitimes... Le villageois semblait honoré de croiser telle compagnie pour servir sa cause. Peut-être que d'avoir été élevée par un sorceleur les avait trop démystifiés à mes yeux pour que je comprenne en quoi ce badaud venait ainsi se formaliser face à nous...

Pour qu'il nous juge plus professionnel que ceux chargés de l'ordre au sein du village, c'est qu'il devait avoir une idée derrière la disparition de sa femme. Une inquiétante intuition qui ne me disait rien qui vaille... « La description que vous en faites est celle d'un mari ou bien d'un homme objectif ? Savoir prendre un peu de distance pourrait orienter nos recherches. Les apparences sont importantes, si bien que l'on pourrait la croire aimée de tous mais en réalité jalousée ou méprisée par quelques hypocrites... Où est cet endroit que la voisine avait indiqué ? Et qui d'autres le connaît ? » Prenai-je les devants sans vraiment faire attention au sorceleur.