ab. One wrong step and everything will collapse ᚬ Helena & Klehr

Paroxysme exacerbé d'une tension prenant possession de tout mon être. Dans l'ombre de la vampire, je découvrais les couloirs de cet édifice infiniment grand. Combien de personnes vivaient en ces lieux ? Tout paraissait surréaliste... et pour cause. Klehr : tu es dans une île perdue au triangle des Bermudes entourées d'être qui boivent le sang des humains asservis et dont la nature a embrassé l'immortalité. Il m'arrivait encore de peinait à croire que tout ceci était réel et non le fruit de mon imagination débordante.

Un silence mortuaire m'entourait, me contentant d'écouter d'une oreille attentive le bruit de nos pas entremêlé du ton ascétique de l'intendante. Mon maître m'avait cédée à
cette vampire. Il fallait que je m'y tienne, aucun autre choix ne m'était donné hormis une mort lente et douloureuse. Je ne voulais pas en finir, pas maintenant. Comment pouvait-il avoir eu l'idée de m'envoyer moi ? Il avait d'autres esclaves bien plus dociles et au courant du fonctionnement de cette île, de la société vampire. Alors pourquoi moi ? La seule solution qui paraissait plausible, c'était de m'apprendre quelque chose. Pensait-il qu'Helena saurait me rendre docile ? Si je l'étais avec elle, pourquoi penser que je le serais avec mon véritable maître une fois de retour à lui ? Lui prêter des pensées m'occupa jusqu'à ce que nous arrivions à ce qui semblait être un salon.

Semblait, c'était le mot.

Il y avait des canapés, des fauteuils, des tables basses, des bougeoirs aux flammèches vacillantes, des tableaux, des armoiries, un piano. Tout ressemblait à un salon. Mais cette grandeur ! La pièce était immense ! Indescriptiblement immense, comme toutes les pièces de ce château. C'en était vertigineux lorsque l'on levait les yeux pour espérer croiser du regard le plafond...

Lorsque nous entrâmes dans la pièce, je dépassai de pas lents la vampire pour m'approcher de l'imposant instrument. Un piano à queue Steinway & Sons des plus rutilants. J'en approche ma main sans oser poser le moindre doigt sur lui. Happée comme un aimant vers ce corps boisé. Si je n'avais plus joué de piano depuis mes vingt ans, j'entretenais toujours avec cet instrument une passion cérémonielle. La musique était une richesse de l'âme. Dans mon esprit se jouaient les notes des partitions apprises à coups de règles sur les doigts par mon précepteur intolérant à l'à peu près. Il avait fait de moi une pianiste émérite dont, pourtant, la maîtrise avait dû décroître faute de pratique.

Mon intérêt sacré pour l'instrument me rendait hermétique aux paroles que prononçait ma nouvelle maîtresse...

Bien des instructions, des informations, plus ou moins rassurantes et engageantes, furent prononcer par l'intendante. Mais loin d'appartenir à ce monde, mélancolique au mien, je m'étais rattachée à ce qui m'évoquait autre chose que la crainte et l'inconnu. Captée par l'instrument qui dominait la pièce, je n'avais guère prêté la moindre attention à ces dernières recommandations.

Des pois mauves et des maracas... mes doigts venaient caresser les touches et mon annulaire frapper une note dans un silence monacal. Je levai la tête vers Helena, redescendant sur terre. « ... D'accord », approuvai-je dans le vent, ignorant ce qu'elle venait de dire mais constatant au vu de sa tête et de celle de son laquais que j'avais dû rater quelque chose. « J'ai... peut-être manqué vos derniers mots... » Dernières phrases plutôt. Mais j'espérais ne pas aggraver mon cas en lui lançant que je n'avais que faire de ses explications. Même si c'était faux. Après tout, c'était sans doute ce qui me permettrait de survivre dans ce château. Il m'avait l'air beaucoup plus dangereux que l'extérieur pour les humains... Bien que je ne sois pas vraiment humaine...

Ma main abandonna le piano rutilant et je m'en écartai d'un pas pour éviter toute distraction directe. Joignant mes mains devant moi, je tentai de détourner le propos pour éviter la moindre foudre. « Y a-t-il beaucoup de vampires ? D'autres que les Lightwood à éviter ? » Me renseignai-je non innocemment. Si l'édifice était immense, les résidents pouvaient bien être de moindre effectif. En tout cas, je l'espérais... J'avais déjà du mal à fermer les yeux avec l'idée d'avoir Jesper et une succube non loin, alors toute une horde de vampires, ça allait être compliqué.

Un pas décidé du laquais. J'ai beau reculer à l'appréhension de son approche, il me décroche une gifle qui me retourne la tête. Surprise et choquée, je sens une chaleur intense m'envahir. Celle de l'erreur. Pourtant, c'était lui - indirectement elle - qui avait fait l'erreur. L'erreur de se permettre de traiter si injustement autrui à cause d'un simple distraction. Ils étaient en tord. En tord d'asservir les humains et de les traiter de la sorte. Leur morale n'était en rien supérieure à la nôtre, qu'ils représentent une espèce plus dominante ne les obligeaient pas à nous traiter ainsi. Et pourtant, cette façon de penser ne m'empêcher pas de croire que j'étais la seule fautive... sans aller jusqu'au mérite de cette claque. Cela me mettait cependant tout autant en dehors de moi.

Pour le coup, c'est avec une attention toute captée que j'écoutais les paroles d'Helena dont la voix prenait un tout autre ton bien plus intimidant. Je n'allais pas faire long feu ici, c'était évident. Jesper en avait-il conscience ? Était-ce sa façon de se débarrasser de moi ? Je ne voyais pas quels plans se dessinaient autour de cet échange qui s'annonçait bien plus instable que prévu. Ses recommandations tintaient ainsi comme des menaces de plus en plus terribles à mesure que ses mots défilaient. Je n'avais pas ma place ici, c'était signé. Bouillonnant de l'intérieur, il y eut un silence pesant et mon regard insistant de noirceur avant que des mots ne parviennent à franchir mes lèvres à contre cœur. « J'y veillerai », articulai-je en serrant les dents et baissant le regard. Déglutissant avec mal, je prenais sur moi pour garder le contrôle et parvenir à survivre jusqu'à la fin de la visite.

La journée allait être bien longue...

Je m'armai de calme, œuvrant pour atténuer cette voix dans ma tête, cette impulsion qui me poussait à ne pas rester planter là face à une vampire des plus austères. Je ne pourrais quitter cet endroit vivante si je prenais la fuite. Et pour avoir déjà tenté de m'échapper, je savais que le prochain châtiment serait la mort. Jesper se délecterait à imaginer les pires tourments avant de m'envoyer dans les profondeurs des limbes. Ma nature ne me donnait plus de croire en un quelconque Dieu. Et quand bien même, seul l'enfer m'ouvrirait ses portes. Rien de bien alléchant en somme. Mieux valait qu'il n'est rien après le dernier souffle.

Une assise, le signe de la suivre. Je m'exécutai sans mot. Mordillant de l'intérieur mes lèvres. Le laquais fut envoyé quérir de quoi nous restaurer. Je suivis ses pas du regard avant de reporter mon attention sur celle qui serait ma maîtresse pour les jours à venir. Plissant les yeux à ses premiers mots, la suite vint me voler un souffle. Bien au courant de ma nature, avec tout ce que cela impliquait - pensais-je - et l'idée de l'image que je renvoyais pour ces vampires si purs et élitistes. Elle évoqua la supposition de mon arrivée succinctement et me demanda confirmation. « Correct, répondis-je avec lenteur. Et mon... maître, hésitai-je, m'a bel et bien expliqué ce que j'étais... » Une abomination. Une hérésie. Une tâche que les plus élitistes auraient tôt fait de rayer de la surface du globe s'il n'était pas derrière moi à convoiter ma propriété.

Si je craignais que plus de questions ne s'abattent sur moi, je redoutais surtout les instructions particulières dont je risquais d'écoper. Une telle engeance pouvait-elle seulement être mise à la vue de la noblesse vampirique ? À quoi devais-je m'attendre si, par malheur, ma route croisait celle d'un vampire ? Je voulais savoir et en même temps continuer d'ignorer. Mais ça aussi, c'était un luxe que je n'avais plus : il me faudrait l'écouter, quoi qu'elle ait à dire. Tout comme j'étais obligée d'écouter les sermons de Jesper face à l'infériorité de mon sang, me rendant plus inutile qu'un humain.

Châsses brunes en appel à un détail, plissées à scruter les prunelles de la vampire. Son impassibilité désarmante éclipser ses intentions. Dérobées à ma perception. Les coupes disposées vers l'une puis vers l'autre, il ne fallut qu'un bref coup d'œil pour déceler leur contenu aqueux. Déglutissant avec un arrière goût de fer, réprimant alors la répulsion déclenchée par l'offrande indigeste.

Aucun regard pour l'esclave, recentrant mon attention sur l'intendante. L'écoutant prodiguer ces paroles supposées compléter celles de mon maître. Le sang humain. Un laïus censé m'appeler à assouvir mes instincts. Quand bien même elle pourrait imaginer les manigances de Jesper à mon encontre, elle était loin de pouvoir connaître les jeux auxquels il s'adonnait. Loin de pouvoir obtenir une réponse autrement que par ma voix à cette question : consommais-je du sang humain ? Si à son teasing mon cœur s'était accéléré, ne sachant où elle voulait en venir, une fois la question expliquée et les raisons énoncées, celui-ci revint à un rythme normal. Ses intentions n'étaient pas plus claires. Mais le choix de ma réponse devint limpide. Comme un pressentiment murmuré au loin. « Ne vous en déplaise, je n'ai pas pour habitude de boire de sang. Si je ne peux nier être en partie de votre espèce, laissez-moi vous confier que mon appétit est loin de s'apparenter au vôtre, ne vous en déplaise. Prenez-en pour preuve que Jesper me laisse vivre parmi les humains de sa demeure sans la moindre inquiétude. Mon jeune âge me préservant sans doute de l'appel du sang », cherchais-je à justifier.

La vérité avait être toute autre, pour des raisons plus que compréhensibles, il était hors de question pour moi et mon corps d'en venir à boire du sang. L'envie était là, au fond, tapie très au fond. Impossible de nier cette part de mon être qui réclamait le cruor encore tiède d'un humain. Mais de là à m'y abaisser, il y avait un monde. Malgré l'instinct, les chaînes abstraites qui me liaient à cette abstention étaient solidement ancrées dans mon être. « Je ne vous coûterai pas plus cher qu'un verre d'eau et quelques féculents », voulais-je assurer avec un sérieux plus que crédible.