Cette proie pouvait s'imaginer avoir un levier sur nous, sur moi, mais je ne la voyais pas apte à représenter la moindre menace pour le clan. Une menace pour elle-même ça par contre, c'était indéniablement vrai. Rôder autour d'un groupe alors qu'elle est seule. Certes, équipée, mais seule. Dehors, le nombre était une force qui prévalait sur la témérité et les compétences personnelles. J'en avais assez fait les frais pour l'avoir compris. Ceux qui restent seuls ne font jamais de vieux os. Logique. Même avec nos armes, nous ne nous attaquions pas à plus fort que nous. Loin d'être suicidaires. Il fallait la jouer plus fine qu'il n'y paraissait. Et cette fille était visiblement loin de briller par sa finesse. Son audace était digne du plus grand divertissement. Elle déplora ne pas être apte à nourrir un groupe comme le nôtre. Mais les temps étaient durs, l'ignorait-elle ? Une seule brindille pouvait ravir des papilles. Ses petits 50 kilos restaient un festin.
L'intérêt de chacun amenait l'intérêt du clan. Survivre ne se faisait guère seul mais seul, on refusait d'être un poids pour le groupe tout entier. Les sentiments n'avaient que peu de place dans notre communauté. Une alliance pour un but commun : survivre. Nous nous différencions des groupes qui s'étiolaient et se consumaient par ce simple fait : le commun avant le personnel. Un moyen de ne pas se jeter dans la gueule du loup et risquer de tout perdre. Se permettre de négliger un pion plutôt que de perdre l'ensemble. Une cause loin d'être noble qui restait défendue par chaque individualité dans le but d'avoir sa chance de rester en vie. Je ne me faisais pas plus souci pour l'éclaireuse que je m'en faisais pour le camp et le clan en général. En vérité, il n'avait qu'une personne pour qui je pourrais négliger les fondements des Vultures... à mon grand damne.
Apportant de l'eau, je ne m'attendais pas à converser avec notre prisonnière. Mais elle semblait loquace. Bien des personnes devenaient loquaces lorsqu'elles se sentaient menacées. Comme un mécanisme de défense : vouloir instaurer le dialogue pour avoir une chance de s'en sortir. Ce qui donnait des situations parfois amusantes, parfois exaspérantes. Ceux qui nous exaspéraient gardaient rarement leur langue plus d'une nuit. Un casse-croûte que Serenity apprécierait grandement car celle de notre invité paraissait bien pendue.
Si elle se montrait farouche, la prétentieuse finit par accepter l'eau que je lui donnais. Restant silencieux, une fois qu'elle eut bu, je refermai l'outre et reportai mon regard sur elle. D'un air grave, elle me demanda ce que je voulais. À titre personnel, retrouver l'éclaireuse. Mais à l'échelle du groupe : qu'elle la ferme pour ne pas aggraver son cas. J'expirai un soupir en détaillant sa silhouette. Si elle n'avait rien d'intéressant à proposer côté physique à mes yeux, je pouvais lui trouver une certaine utilité pour d'autres de mes comparses... mais lui causer du tord n'était pas vraiment dans mes intentions. « Que tu la fermes. » Me redressant, je la regardai une dernière fois avant de m'en retourner vers le groupe.
Des interrogations, des propositions. Pour Emrys, elle avait déjà tué l'éclaireuse, on n'avais rien à obtenir d'elle, autant la tuer sur le champ. Serenity appuya ses dires en décrivant une recette intrigante qui n'éveillait pas du tout mon appétit... « Elle est bien trop propre sur elle pour avoir passé sa vie dehors. Pas assez futée pour venir de Reiver et en même temps trop audacieuse pour sortir du dôme. » Mes réflexions à voix haute captèrent l'attention de mes pairs. Si nous étions trop éloignés de la prisonnière pour qu'elle nous entende, elle devait se douter que nous étions entrain de statuer sur son cas vu les regards peu discrets que les autres lui adressaient. « Tu veux en faire quoi ? » Se préoccupa l'un des vautours. « Elle peut nous être utile. » Serenity expira un rire ironique et offusqué avant de se lever et d'aller s'étendre en retrait. Elle s'en doutait : je n'allais pas accepter qu'ils la tuent. Si elle venait de Steros ou d'un autre grand campement de survivants, elle devait alors avoir un savoir qui pourrait être utile au camp que nous protégions. Qui pourrait être utile à notre clan tout simplement. Il valait mieux avoir des alliés que des tombes. Même si avoir un allié sous-entendait qu'il était possible que celui-ci nous trahisse. Avec Reiver, j'avais réconcilié le clan avec les alliances. Pour l'heure, ça nous réussissait. Pourquoi est-ce que ça ne pouvait pas marcher avec les électrons libres qui vagabondaient ci et là ?
La nuit tomba, les heures défilèrent. Les tours de garde s'enchaînèrent jusqu'à ce que vienne le mien. L'aube n'allait pas tarder à pointer le bout de son nez. Je vins marcher jusqu'à la prisonnière, visage neutre et lèvres closent. L'observant de ma hauteur tout en m'adossant à un arbre juxtaposé au sien.