La mascarade
Les courbettes s'imposeraient, qu'on le veuille ou non. Retarder l'échéance ne ferait qu'attiser une curiosité dont je me passerait bien. C'est alors que j'entrai dans la grande salle de réception au côté de Kaleb. S'il était perçu comme l'héritier, le bien né à l'avenir tracé de noblesse et de légende, je ne voyais ce vampire uniquement de mes yeux familiers. J'avais grandi auprès de son frère. Quelque part, j'avais ce sentiment de faire partie de la famille. Certes, au niveau d'un animal de compagnie ou d'un meuble dont on hérite, mais ça restait une place qui m'empêchait de le voir de la même façon que l'assemblée.
Loin d'être étrangère à l'étiquette, je ne pris guère ombrage lorsqu'il s'éloigna de moi, d'une prise de congé brève au regard légèrement complice. La soirée serait longue pour lui, à n'en pas douter. D'un sourire presque moqueur, je lui souhaitai bonne chance avant de faire quelques pas dans la salle pour tenter de débusquer Lorcan. J'avais replacé sur mes yeux le masque noir au velours sobre. Un manque d’excentricité qui ne me correspondait guère, il fallait l'admettre. Si ma peau ambrée assurait à mon maître de me repérer sans le moindre mal, l'inverse ce serait une tâche bien plus complexe...
Contournant le centre de la salle pour ne pas me prendre un danseur en pleine face, je longeai le buffet emprunté également par une femme masquée à l'allure gracile et décidée. Un numéro retenu lorsqu'elle manqua de me bousculer. Je me retourne à l'effleurement de son bras contre le mien, vois son visage se tourner vers moi, presque intrigué, avant qu'elle ne reporte son attention face à elle. Un froncement de sourcils. Elle aurait pu s'excuser, quel était ce genre ?
Je me retournai et continuai de longer le buffet, me retenant de saisir l'une de ces coupes à peine arrivée. Quelques pas et je parvins à deviner la chevelure de Lorcan, son costume, son masque. Il était en présence d'un autre vampire qui réajustait son masque. Alors qu'il prenait congé, je lui adressai un sourire des plus aguicheur avant de me placer devant mon maître. « Vous ai-je manquée, maître ? » L'interpellai-je d'un minois joueur. Je n'allais pas me moquer de sa position : devoir assister à cette réception, étant donné qu'il m'y avait traînée. J'étais celle dont il se moquerait sans doute à me voir ainsi affublée d'élégance sobre, loin du cuir, des corsets et autres fioritures qui me mettaient pourtant à l'aise.