Convocation innocente ▬ Maggie & Cosima

Il n'y avait pour lui aucune inquiétude. Ce n'était pas un avis que je partageais. Ce n'était jamais bon d'avoir à faire aux autorités dans notre milieu... Mais selon lui, en quatre ans, je m'en étais plus que bien sortie. Et de toute façon, j'étais bien moins exposée que d'autres, il n'y avait aucune raison pour qu'ils veuillent m'arrêter. Ils auraient frappé à ma porte depuis longtemps si ça avait été le cas, suggéra Dekian. Ses mots finirent par me rassurer. S'accordant à me conseiller sur la façon dont je devrais me comporter avec les inspecteurs. Jamais je n'avais été dans un poste de police, pas même pour une contravention... Difficile de me faire une idée sur ce qui allait m'attendre. D'un autre côté, j'avais appris à gérer les situations à risques, à contrôler mes émotions et à ne pas laisser la panique m'envahir. Sans être particulièrement confiante, je restais toutefois positive et parvins à me rendre au commissariat sans me monter la tête plus que de raison.

Traversant la ville, je passai les portes du commissariat et fus accueillie par une femme cachée derrière un comptoir. Me présentant en expliquant que j'avais été convoquée ce jour, elle me fit patienter sur l'une des chaises disposées non loin de là. Un brouhaha ambiant parsemé de conversations, d'éclats et de sonneries de téléphone embaumait l'atmosphère. Mon regard voyageait d'un visage à un autre, d'un bureau à un autre. Je n'étais pas très à l'aise ; plus par le lieu en lui-même et son agitation que par les raisons obscures de cette convocation. Loin de penser que l'affaire de Varseni n'ait pas été finalement classée au bout de quatre ans, je m'inquiétais qu'il puisse s'agir d'une affaire pour laquelle je pouvais réellement être coupable. Tenant mon calme, éloignant mes craintes, je me montrai patiente. Jambes étendues et chevilles croisées, dos enfoncé dans la chaise à jouer avec mes mains en attendant que le temps passe. Finalement, après de longues minutes, on m'interpella pour m'emmener dans un endroit que j'espérais plus calme.

Bien que mes mains étaient moites, je montrais un certain calme apparent. Ou plutôt, je jouais à l'image : sage. Transpirait de mon regard cette lueur de naïveté enfantine. Était-ce ma façon de vivre, mes passions, ou simplement ma génétique qui m'accordait cet air juvénile même en ayant un pied dans la trentaine ? Si ces traits angéliques me rendaient difficilement crédibles au sein du clan Pagliarelli, cela pouvait parfois m'aider. Sans chercher à compter dessus pour jouer l'innocente, disons que cette fragilité qui transparaissait de mon visage et mon attitude laissait plus croire à une femme qui n'est pas à sa place dans ce milieu plus qu'à une criminelle aux mains nimbées de sang...

Nommée par un agent de police, je me levai et l'observai avec une intensité certaine. Comme si d'un coup d'un seul, cette femme était devenu un repère dans cette jungle assourdissante. Je la saluai en retour sans avoir le temps de lui demander son nom. Un rapport qui démarrait mal... l'équilibre était important dans une conversation. Une information pour une autre, ou alors se créait un fossé installant un rapport de dominant dominé. Ou peut-être que l'état de stresse qui me guettait me faisait extrapoler les signes et surinterpréter les faits. Vu l'animation des lieux, elle ne devait pas en être à son premier rendez-vous de la journée et avait tout bonnement omis de se présenter. Je la suivis, marchant sur ses talons comme si j'avais peur de me perdre à ciller un instant. Une fois dans son bureau, qu'elle clamait plus adéquat pour discuté, je laissai mon regard voguer ailleurs que sur ses pas. « O-on m'a demandé de venir chez vous aujourd'hui mais... on ne m'a pas dit pourquoi... ai-je fait quelque chose de mal ? » Demandai-je sur un ton candide qui me persuadait moi-même. Car c'était vrai, quelque part, je voulais savoir de quel côté elle me situait. Cela m'éclairerait dans ses intentions et donc la posture que je devrais prendre face à elle.

Sans apporter de réponses à mes inquiétudes, la jeune femme m'invita à m'asseoir en me targuant d'un regard qui était censé me faire comprendre que ce ne serait pas à moi de poser les questions. Je m'assis sans rien ajouter, mordillant nerveusement l'intérieur de mes lèvres. À consulter un dossier, la dite lieutenante Keegan vint à me déclarer que je n'avais pas de raison de m'en faire. Son ton léger et son sourire ne suffisaient pas à me mettre à l'aise, mais au moins ça me rassurait quelque peu. Rendant timidement son sourire, je la laissai poser ses questions.

Sans précipitation aucune, la lieutenante se dirigea vers une étagère ou trônait une machine à café. Je la suivais du regard alors qu'elle parlait tout en s'afférant à la cafetière. Le motif de ma convocation fut énoncé tel un piano me tombant sur la tête. D'avoir ainsi ciller impliquait que je ne pourrais pas feindre le fait que je connaissais cet homme. Un café ? « Volontiers ». Keegan fit couler deux cafés, m'en apportant un et prenant le sien à la suite. « En effet, je connais cet Ignatio... qu'est-ce qui ne va pas avec lui ? » Faire mine de ne pas savoir son triste sort restait à mon sens une bonne idée. La police avait-elle retrouvé le corps ? Les nettoyeurs Pagliarelli avaient-il eu le temps de faire leur office ? Le considéraient-ils porté disparu ou vraiment fini ? Ne sachant rien des éléments qui étaient en leur possession, je me devais de marcher sur des œufs.

Je ne voulais pas faire de faux pas, rester sur la défensive à ne rien dire ou au contraire trop en dire et m'impliquer trop évidemment dans cette affaire. Tout ce qui pouvait concerner ce dégénérer ne pouvait être que néfaste. Ce qu'il m'avait fait vivre revenait encore dans mes nuits troublées. L'idée d'avoir retrouvé un père et d'être retombée six pieds sous terre. Avoir été enfermée et négligée dans le but de servir je ne sais quel sombre dessein. Me souvenir de Varseni suffisait à ce que l'odeur de son sang étalé sur le sol recouvre celle du café que m'apportait Keegan. Avais-je remercié Dekian pour cette libération ? Bien que ce meurtre m'avait perturbée, ça m'avait également sauvée. Il m'avait sauvée... Et pourtant, j'avais l'impression de ne jamais lui avoir témoigner la moindre reconnaissance...

Il ne fallait pas que je me plante. Que je le plante.

L'enquête avait fait naître une piste. Une disparition d'un tel rebut n'aurait-elle pas pu être classée depuis tout ce temps ? La justice était vraiment aveugle. Tout comme devait l'être l'entourage d'Ignatio... Comme je l'avais été. Fronçant les sourcils, je baissai la tête et me concentrai sur le café dont les particules de mousse se dissipaient avec lenteur. « C'est assez personnel et... compliqué. J'ai coupé tout contact avec lui depuis plusieurs mois, je n'ai plus rien à avoir avec cet homme depuis longtemps. Depuis que j'ai compris que ce n'était pas une personne à qui l'on pouvait faire confiance... » La naïveté dont j'avais fait preuve avec Ignatio avait été une très - trop ? - bonne leçon et j'en étais encore honteuse. Mais à cette époque, je voulais tant retrouver mon père... Je voulais tant y croire que je me suis mise à croire n'importe quoi, de n'importe qui...

Cette convocation allait tourner en consultation psychiatrique... Non, je ne pouvais pas tout dire. Personne ne pouvait tout dire ici. Même la personne la plus honnête au monde ne pourrait pas tout dire ici. Mais je comprenais qu'elle essayait simplement de me mettre en confiance. Encore fallait-il que je sois en confiance avec moi-même... Roulant les yeux, je restai silencieuse. Elle précisa ses attentes en posant des questions. Fronçant les sourcils, partagée entre la gêne et la honte, mon regard fuyait le sien jusqu'à ce qu'ils se croisent et qu'elle m'agrippe de ses yeux noirs. « Je... je croyais qu'il était mon père. » C'est fou. Ça paraissait aussi débile que dans ma tête. « Je ne sais pas grand chose de lui, mais il en savait assez sur moi pour me faire croire que c'était lui. Quand je me suis rendue compte de la supercherie, j'ai pris mes distance en coupant les ponts avec cet homme », lui confiai-je avant de me noyer dans le café qu'elle m'avait offert.

La situation était plus que gênante. Si je n'étais pas une boule de fierté, je passais tout de même pour une sacrée gourde au point d'en être un danger pour sa propre survie dans un monde où pourtant tout est fait pour nous mettre en sécurité. Comme capable de sauter d'un ravin si on me disait que de toute façon, tout tout tout en bas, loin dans les abîmes un filet me rattraperait. « Si au début dans son discours il y avait quelques incohérences avec le peu que j'en savais sur lui, je me trouvais des raisons, lui trouvait des excuses. Jusqu'à ce que l'illusion ne fonctionne tout simplement plus... » déplorai-je simplement sur un ton bas. J'avais beau ne rien excuser à Varseni, bien au contraire, ce n'était pas pour autant que je n'étais pas capable de reconnaître mes tords, à savoir cette incrédulité qui m'avait coûté très cher. « Ça commence à remonté à plusieurs années... deux, peut-être trois. » Expliquai-je en réponse à sa question. Je me doutais qu'elle devait avoir à faire à des histoires bien plus tordues dans son métier, mais ça n'en restait pas moins gênant pour moi. Continuant à siroter mon café, j'attendais la suite de ses questions mais surtout la fin de cet entretien.

Une posture désavantageuse que je n'autoriserais pas à me dépasser. M'échinant à garder une apparence calme malgré mon malaise évident. Je n'étais pas fière de moi, de ma naïveté. Mais pour le coup, elle me servait bien... Ses mots rassurants avaient beau m'aider, ça ne faisait pas s'évanouir la gêne de cette situation... « Une fois que j'ai découvert la supercherie, j'ai tout fait pour m'éloigner et ne plus avoir de contact avec cet homme. Désolée de ne pas pouvoir vous aider d'avantage... » Désolée, je ne l'étais pas vraiment. Aucunement même. Si je pouvais observer quelques remords à la façon dont s'étaient passer les choses, je devais bien avouer que sa mort ne m'attristait pas. Il était mort avec sa version de l'histoire, une version dont je doutais de la véracité tant il m'avait recouvert de mensonges. Je n'avais plus rien à obtenir de lui. Sa mort était un dommage qui m'avait bien servi, il faut le dire... La culpabilité ne me rongeait qu'au seul sens de mes principes qui, ce jour-là, s'étaient vus ébranlés.