505eme Automne , Kaela 17 ans.
Kaela se surprit à profiter de la douce chaleur du soleil sur sa joue tendue. Les yeux fermés, les mains sous son séant, les genoux croisés, elle était assise sur un banc, face au bruissement délicat des feuilles et aux remous apaisants de la mer qui venait lécher les côtes de Corona. Son buste était penché vers l'arrière, mais pour une fois, son dos n'était pas douloureux. Elle se sentait étonnamment légère, ses cheveux roux volaient au gré du vent, effleurant parfois ses yeux clos. La jeune femme était tenté d'ouvrir ceux-ci, mais elle ne pouvait s'y résoudre. Il était si rare qu'elle parvienne à s'accorder un instant de repris et cet instant la comblait d'un tel bonheur que s'en arracher maintenant aurait été du gâchis. Elle se sentait légère, libre de toutes ses corvées. Une étrange impression monta en elle, Kaela s'imaginait féminine et resplendissante sur ce banc au bord de l'eau. Ses longues boucles rousses entouraient son visage dont les traits n'étaient plus tirés, sa peau semblait douce et sa robe... oh ! sa robe brillait d'une multitude de couleur qui mettait en valeur son teint et son être entier. Elle prit une grande inspiration, elle se sentait vivante. Un tel état de plaisir ne lui avait jamais été accordé, elle se sentait libre et légère, capable de voler elle aussi au gré du vent, libre de ses liens qui la tenaient si fermement accrochés aux Ferenbach, libre de ses contraintes, du poids de son dur labeur, ses mains lui semblaient si douce, si féminines, elle avait l'impression d'être l'incarnation même de la beauté. En ouvrant les yeux finalement, Kaela croisa le levé du jour, celui-ci semblait faire flamber ses mèches et sa robe, qui était déjà magnifique dans son imagination, lui donnait une allure si sophistiquée et chic qu'elle eut eut le souffle coupé. Ne pouvant retenir un léger sourire, elle se leva et contempla ses mains qui était manucuré, il n'y avait ni saleté ni peau morte, juste de superbes ongles sur des mains graciles, ornées de quelques bijoux d'une valeur inestimable. Elle tourna sur elle même, laissant le vent chaud la pénétrer, la posséder. Elle ne voulait pas quitter cet endroit, jamais. Elle aurait tant aimé resté là à tourner sur le monde, ayant l'impression que celui-ci tournait autour d'elle.
Une douleur sourde vint lui percuter les côtes. Kaela se cambra sur l'avant, tenant son corps contre elle-même. Quelque chose n'allait pas, cette scène sonnait faux, mais elle refusait de s'y laisser arracher. L'autre côte subit la même attaque, elle se crispa davantage, serrant les dents pour retenir ses larmes. «
Pitiez ! Non ! » cria-t-elle, mais le vent était devenu assourdissant et ses mots ne furent entendu par personne. On s'acharnait sur ses entrailles, Kaela était au sol, le décor n'était plus le même. L’apaisement de l'instant d'avant était devenu un enfer, le soleil semblait lui brûler la peau et cette robe, si belle, si pure, semblait la transpercer. Le coup de grâce qui lui asséner lorsqu'elle sentit ses cheveux tiré vers l'arrière, l'éloignant de ce magnifique spectacle, de cet endroit si beau. Les larmes roulaient sur ses joues, elle se sentait redevenir esclave des Ferenbach. «
Debout ! » criait-il de sa voix rauque, grave et autoritaire. «
Fainéante, lève toi ! ». Le Docteur était bien là, Kaela ouvrit doucement les yeux, elle s'était visiblement assoupie sur ses travaux de couture avant de les avoir terminés. Elle tenta de se redresser mais Ferenbach lui donna un coup dans le dos, celui-ci fut si fort qu'elle retomba, face contre terre, le souffle court. «
Je-Je suis... » balbutia-t-elle avec le plus grand mal. Il semblait fou de rage, ou simplement fou. Kaela avait déjà vu cette folie dans les yeux du médecin, et croiser le regard embrasé de celui-ci lui arracha un frisson d'horreur.
Il va finir par me tuer... pensa-t-elle avec amertume alors qu'il la ruait toujours de coups. Il se déchaîna sur elle pendant ce qui lui semblait être une éternité.
Une fois à peu près calmé, Monsieur vint poser un genou à terre, près de Kaela qui était restée allongée sur le sol, elle n'était pas encore inconsciente, elle tremblait de peur et de douleur et retenait tant bien que mal les sanglots dans sa gorge. «
Kaela, » reprit-il d'une voix presque douce, mielleuse. Lorsque celle-ci releva quelque peu son visage pour apercevoir celui du médecin, il empoigna la chevelure rousse de la jeune femme pour la redresser de force et, sans vraiment se contenir, lui asséna un dernier coup au visage, suffisamment fort pour immédiatement y laisser une marque, mais pas assez pour la blesser plus que nécessaire. Elle devait être en état de faire ses tâches du jour. Il la relâcha alors, Kaela se laissa retomber sur le sol. «
Lave toi et va au marché, ne tarde pas. Je ne t'épargnerai peut-être pas la prochaine fois. » sur ce, la porte se ferma dans un gros bruit et Kaela laissa échapper les quelques sanglots qui lui brûlaient la gorge.
Elle resta quelques instants au sol avant de serrer les poings et d'user de ses dernières forces pour se redresser, son séant posé sur ses mollets. Son buste était extrêmement douloureux, chaque mouvement, chaque respiration semblait lui arracher un gémissement, ses jambes étaient intactes. Elle sentait sur son visage un léger picotement, levant la main pour toucher sa pommette agressée peu avant, la jeune femme ne fut pas surprise d'y trouver un peu de sang. La jolie rousse dû s'y reprendre à plusieurs fois pour parvenir à se redresser sur ses jambes qui tremblaient, elle était profondément choquée par ce qui venait de lui arriver, mais ne pouvait se soustraire à ses obligations. Elle fit en sorte d'atteindre le seau avec lequel elle se fit un brin de toilette. L'eau froide eut pour effet de la réveiller, bien qu'elle ne fut pas agréable.
Kaela quitta la demeure sur la pointe des pieds, enfila sa cape, ses souliers et noua, à sa ceinture, la bourse qui lui avait été confiée. Elle priait pour ne croiser personne dans la maison, mais Madame devait encore être au lit et Monsieur avait du quitter la demeure pour rejoindre son cabinet qui se trouvait à quelques pas de là. Sa joue était douloureuse, comme le reste de son corps. Elle n'avait pas beaucoup dormi et ce réveil sans gentillesse n'avait pas aidé à la reposer. La jeune femme descendit la côte sur laquelle était bâtit le quartier bourgeois pour se rendre au marché. Le soleil était déjà bien haut, sans doute était-ce pour cela que le Docteur l'avait surprise en train de dormir. Peut-être l'avait-il sonné plusieurs fois, il était rare que celui-ci se lève et vienne la chercher. Pour cause... Kaela faisait en sorte de ne jamais avoir à croiser Monsieur Ferenbach lorsque celui-ci était contrarié, elle savait très bien ce qui arrivait dans un tel cas. Prenant place près d'un stade de viande, Kaela redressa quelque peu la tête pour observer ce que le marchand y proposait. Il y avait un peu de monde, il lui faudrait patienter. La jolie rousse priait pour que cela ne prenne pas trop de temps, elle avait d'autres courses à faire et d'autres tâches à accomplir. Sans doute ne survirait-elle pas à cette journée si Ferenbach décidait de la ruer de nouveau de coups.
Réservé, Wilhelmina- 1286 mots.